Paradoxe de deux mondes, celui de la consommation et celui de la communication… mon retour dans l’Hexagone en ce jour de Noël devait être synonyme de joie, de fête. Il n’en est rien, la nostalgie de l’Afrique me glace le dos. Avalanche de cadeaux, d’ordinateurs portables, de technologie grouille dans le couloir du TGV qui me ramène à la maison. Sans parler de l’autisme de mes voisins, préférant la vision de leurs pieds à mes sourires et autres discussions. Me voilà bien loin de l’annonce traditionnelle béninoise lancée à tout voyageur « Soyez la Bienvenue » !
Six semaines de voyage, c’est court et long à la fois. Une fois encore, l’avion du retour va trop vite, pas le temps de s’acclimater, de voir progressivement le paysage évoluer, la couleur de peau des gens se dépigmenter. Point de transition, un peu comme un accident, la chute est brutale : je passe d’une chaleur humide à un froid sec, d’un peuple noir à un autre blanc, de notions de communauté à celles d’individus… en un clin d’œil !
Les yeux fermés, il ne me reste plus qu’à laisser parler mon cœur, vous raconter mille et une anecdotes, chavirer mes souvenirs, caboter mes voyages et vous dire que l’Afrique est plurielle, qu’elle est diversifiée et que dorénavant je l’appelle « Les afriques ».
La moto quitte rapidement la route asphaltée de Natitingou, ville frontière du nord Bénin, pour la piste rouge latérite. Sans casque, à tombeau ouvert, je m’enfonce dans les montagnes de l’Atakora, coincées entre Togo et Burkina Faso. Avec l’altitude, la végétation change, devenant plus verte. Baobabs aux racines aériennes rivalisent de beauté avec fromagers, kapokiers et ébènes. Et de nulle part surgit mon premier « tata », ferme château fort de terre, sur lequel le soleil couchant donne des couleurs de sang.
Rapidement, c’est une pluie de tatas qui s’abat de chaque côté de la piste, tous aussi prestigieux les uns que les autres. Entité familiale, cette ferme forteresse date de la nuit des temps, et a été élevé dans le but de se protéger, à la fois des prédateurs (lions, hyènes…) mais aussi des guerriers-voleurs. Le tata, de base circulaire, est constitué de deux étages, avec comme seul orifice une étroite porte par où pénètrent hommes et animaux. La terrasse est surmontée de greniers ronds recouverts de chapeaux de paille, tels des tours défensives. Mais aussi de chambres tours où l’entrée s’effectue à quatre pattes, un peu comme dans un igloo ! Les murs extérieurs sont recouverts de signes étranges, l’entrée est surmontée de crânes d’animaux, de cornes de bœufs et de plusieurs fétiches, éléments sacrés et protecteurs.
Après quelques jours au village et de nombreux liens tissés avec la population Otammari qui parle également français, j’ai pris mes repères, mes habitudes. Les voyages que je suis en train de mettre en place s’articuleront à partir de Koussoukouangou, bourgade sans eau ni électricité, au milieu des collines de l’Atakora. Comme je m’y attendais, il ne s’agit point de montagnes, mais de reliefs vallonnés magnifiques depuis lesquels s’écoulent de petites rivières et des cascades, où les baignades salvatrices réparent la morsure du soleil… que l’on peut éviter aussi par une sieste sous un manguier !
Ici règne le calme, seul le bruit de la nature, chants d’oiseaux, cris des singes enrichissent les oreilles. Les yeux sourient aux vols nombreux de loriots, guêpiers, calaos, rolliers qui se faufilent entre les pains de singes verts des baobabs et une multitude de papillons de grande taille.
Les Bétammaribés (pluriel d’Otammaris), bâtisseurs des tatas, sont un peuple fier. Depuis la nuit des temps, ils ont guerroyé et remporté de nombreuses batailles. Vêtus du seul étui pénien, armés d’arcs et de flèches, ils ont résisté longtemps aux troupes colonisatrices. Aujourd’hui, les flèches empoisonnées ne servent plus qu’à tuer le gibier nombreux et les scarifications des corps dénudés ont tendance à se dissimuler derrière des vêtements… les missionnaires catholiques leur ayant appris les notions de bien et de mal !
Plus haut, leur visage offre une multitude de scarifications fines qui varient selon les villages. Ces repères identitaires pratiqués dès l’enfance (4-5 ans) ont tendance à disparaître de nos jours. Les visages de la nouvelle génération ne s’offrent plus à la tradition ancestrale, de peur de voir s’appliquer sur eux une discrimination. Pourtant l’ancien dictateur puis président Kérékou a son visage recouvert de traces ; ce qui ne l’a pas empêché d’avoir une vie publique internationale. La mondialisation serait-elle en train d’éliminer les gestes, les savoir-faire des ethnies reculées du nord Bénin ?
Retour en brousse.
Avec Bertin, le guide, nous partons 4 jours avec l’intention de faire une boucle, de village en village. L’idée est de dormir chez l’habitant, de prendre un premier contact afin d’y revenir d’ici quelques jours. Seulement, Bertin ne connaît pas l’itinéraire du deuxième et troisième jour et pense qu’il n’y a pas de sentier. De mon côté, je voyage à l’instinct, au feeling. Vu le nombre de tatas disséminés dans la brousse, je suis quasi certain de trouver un peu partout des gens qui pourront nous indiquer la route à dessiner. Il paraît évident que des sentiers relient les villages afin que les personnes et les marchandises circulent et s’échangent. C’est finalement une belle boucle que nous décrivons, avec la découverte de la vallée de Koudoko où les gens cultivent du riz grâce au marigot ainsi que des bananes et mangues et des céréales tels fonio, mil et sorgho.
L’accueil dans ces villages reculés est des plus simple et chaleureux. Après les traditionnelles salutations, on nous offre dans de larges calebasses, soit de l’eau acide, breuvage fait à partir du fruit du baobab - le pain de singe - soit le tchouk ou bière de sorgho, souvent tiède. Mais attention aux abus, cette bière désaltérante est forte et sucrée, autrement dit, elle secoue le cocotier…
Les soirées se passent en famille. Inexorablement, les femmes préparent la pâte, soit de maïs, soit fonio ou encore d’igname. Elles « tapent » la céréale avec l’aide du couple mortier-pilon qui muscle les bras. Mélangée avec un peu d’eau, la pâte apparaît dans une marmite posée sur le feu. Il faut sans cesse remuer cette pâte pour éviter les grumeaux. Une autre femme s’occupe de la sauce, tandis que les enfants écrasent les piments sur une table de pierre à l’aide d’un caillou. Malgré la poussière omniprésente, les femmes mettent un point d’honneur à l’hygiène : tous les ustensiles sont lavés avant et après chaque opération.
Les Bétammaribés aiment le clair de lune, cela leur permet de dîner en lumière. Les rares torches qu’ils possèdent n’éclairent que les moments importants, car les piles sont hors de prix. Ils calent la torche entre leur joue et l’épaule, et ainsi la tête de travers, ils ont les deux mains libres afin de travailler. Ma frontale les amuse… et allume dorénavant leurs soirées.
Les repas sont toujours les mêmes. Un plat unique. La pâte avec une sauce, soit d’arachide ou gluante à base de légumes locaux. Quelquefois tomates et oignions quand il y a suffisamment d’argent. Pas ou peu de viande, alors qu’ils ont tous une basse-cour avec poulets, pintades, canards… mais c’est plus pour les vendre que pour les manger !
Les Sombas, nom plus générique attribué par le colonisateur français et qui englobe toutes les ethnies du nord Bénin sont paysans. Agro pastoralisme, agriculture et élevage : on voit donc des champs de manioc, de maïs, de patates douces et aussi du bétail comme moutons et bœufs. C’est en vendant au marché leur bétail qu’ils gagnent un peu d’argent afin d’acheter les rares choses qu’ils ne produisent pas et dont ils ont besoin : vêtements, docteur, école et quelques objets du monde moderne : bassine en plastique, assiettes, radio, crayon…
J’ai mis en place deux voyages, un de 8 jours, un autre de 15. Les deux passeront dans les collines de l’Atakora et nous dormirons chez l’habitant afin d’une part de voir, comprendre leur réalité et ensuite leur donner les moyens de vivre mieux. Pour cela j’ai choisi 3 familles distinctes, Alexandre et Madeleine chez qui nous dormirons sur les toits des tatas et chez qui nous prendrons le petit-déjeuner, Basile et sa famille qui nous accueillera pour les dîners, et enfin Bertin qui sera notre guide pour découvrir son pays.
Mon voyage ne s’est pas arrêté là, loin s’en faut ! Après les montagnes, j’ai mis les voiles à l’aide d’un 4/4 pour une aventure hors norme… le « safari vision » du parc national de la Pendjari ! Je dois l’avouer, j’ai toujours eu des préjugés sur les safaris... voir des animaux sans aucun effort, à la portée de tous, du moins de ceux qui en ont les moyens…
Mais ici c’est un peu différent : on parle de « safari vision » c’est-à-dire qu’il va falloir chercher, car les animaux sont plutôt cachés et ce n’est pas à chaque fois qu’on peut observer lions, guépards, éléphants, hyènes… cela dépend de la chance et de la bonne observation du guide et des participants !
Imaginez un peu, la savane à perte de vue, quelques collines où les baobabs s’amusent et le tout avec un guide chauffeur hors pair, Marcel : il connaît le parc comme sa poche, les animaux, leurs biotopes, leurs habitudes et bien qu’il ne sache pas se servir de jumelles, il n’en a aucunement besoin. Nous voilà partis à la recherche de la faune dans cette réserve crée en 1954. Et doucement, la pression monte : l’envie de voir des animaux et surtout les éléphants…
Marcel roule doucement et du doigt pointe les singes, phacochères qui à ces heures encore chaudes siestent à la fraîcheur des arbres. Doucement nous pénétrons dans le sanctuaire, des antilopes surgissent, d’abord de loin, puis de plus en plus près : cobes, bubales, hippotrague la fameuse antilope cheval. Comme dans un rêve, j’avance doucement au milieu d’une prairie où les animaux jouent à cache-cache avec les herbes folles et les arbres. Ils s’éclipsent à l’arrivée de la voiture, nullement gênés par cette dernière et je me demande même s’ils ne jouent pas avec nous. Marcel rit et je l’accompagne dans un concert surréaliste : une multitude de guêpiers survolent le bas-côté de la piste au-dessus d’un feu de brousse. Ces derniers profitent de l’incendie qui fait fuir les insectes dont ce régalent les oiseaux pour mon plus grand bonheur. Cascade de couleurs, rouge, bleu, noir, mélangée à la grâce du vol. Taches bleues électriques des rolliers d’Abyssinie viennent perturber ce spectacle, je ne sais plus où donner de la tête…
Un peu plus loin, j’approche à pied d’une mare. Je monte sur un poste d’observation aménagé d’où la vue sur le point d’eau est remarquable. Quelques morceaux de bois flottent étrangement, ouvrent la gueule et me laissent admirer une dentition exceptionnelle : les crocodiles du Nil sont nombreux et partagent ces lieux avec les hippopotames. Perchés sur les arbres autour de la mare, les grues, les jabirus, vautours et cigognes attendent patiemment. À l’instar des hommes, les animaux ont besoin de satisfaire leur soif et viennent tous autour de ces mares, sans animosité à ce rituel, et sans le savoir m’offrent un spectacle unique.
Au matin, c’est un concert de chants d’oiseaux, tous aussi beaux les uns que les autres qui me réveille. Impressions du premier matin sur Terre. Pas encore levé, je suis déjà en extase. Après les buffles et les traces de lions, Marcel me dévoile derrière les arbres, deux branches parallèles très blanches. Mon imagination ne suffit pas, alors Marcel m’invite à découvrir à pied mes premiers pachydermes. Ces 2 branches épaisses ne sont en fait que les défenses d’un éléphant qui peu surpris me regarde dans les yeux et continue sagement à se nourrir de feuilles d’arbre. Puis 5 ou 6 autres collègues se montrent à moi, Marcel imitent leur cri faignant un mâle, ils approchent doucement vers nous. Leurs trompes se balancent doucement, mais mon cœur chavire : j’ai en face de moi, à 50 mètres, les plus gros animaux vivant sur terre, entre 3 et 6 tonnes… je me sens bien petit et discrètement mets dans la boîte quelques portraits, tout en les remerciant !
La journée se poursuit avec des rencontres animalières inattendues et le plaisir de partager cela avec mon guide.
Me voici au fin fond de la savane arbustive, loin des premiers villages et je goûte au Bonheur, celui là même que j’étais venu chercher ! Je ramène dans mon sac à malice de merveilleux souvenirs, des rencontres inoubliables, un Jean-Marc changé et 2 jolis voyages que j’ai envie de vous proposer, afin de partager ces moments rares avec vous et bien sûr d’apporter du travail, de l’économie à tous ces gens que je connais et qui nous attendent.
Je vous contacterai plus tard pour vous faire part d’un projet de voyages sur place, entre Bénin et Burkina Faso. D’ici là, je vous laisse regarder un très bon site sur le parc national.
N’hésitez pas à me contacter pour toutes questions et renseignements.
A bientôt.
Jean-Marc Cotta - accompagnateur montagne 3 route de Bosdarros - 64260 Rébénacq